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Au début du mois de juin 2017, de manière unilatérale, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar, entraînant la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes. Les griefs qu’ils leur reprochaient ont toujours été strictement rejetées par le Qatar qui dénonçait une atteinte à son intégrité territoriale et à sa souveraineté.
Mais grâce aux efforts déployés par la diplomatie koweitienne et un contexte géopolitique renouvelé par l’arrivée de l’administration Biden au pouvoir, l’Arabie saoudite a acté la fin de la crise à Al-Ula le 5 Janvier 2021, entrainant dans son sillage ses trois alliés : Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et l’Égypte. L’Emir du Qatar, le Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, a été en effet, accueilli en grande pompe pour la signature de « l’accord de stabilité et de solidarité » à Al-Ula par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MbS), qui lui a donné une étreinte d’une portée symbolique rare dans ce contexte sanitaire qui impose la distanciation sociale, consacrant ce faisant la fin du statut de paria de Doha au sein du CCG.
Une résistance qatarienne qui a porté ses fruits…
L’isolement avait obligé l’émirat à s’adapter à la nouvelle donne, en revoyant sa politique régionale et intérieure pour protéger la stabilité et l’équilibre économique du pays.
A cet effet, le Qatar a fait preuve d’une résilience remarquable puisqu’il n’a pas ménagé ses efforts pour développer une stratégie de diversification et de production locale, en mobilisant son fonds souverain, Qatar Investment Authority (QIA). La stratégie du fonds a été notamment d’investir dans de nombreuses filiales sectorielles et géographiques lui permettant de disposer d’un portefeuille d’investissement rentable en ciblant principalement ses participations en Europe, aux États-Unis et en Asie, dans des secteurs comme l’immobilier, l’industrie, le luxe, les technologies, la santé et le sport. Le portefeuille d’actifs du fonds s’évalue aujourd’hui à près de 300 Mds USD (270,68 Mds EUR), contre 130 Mds USD (117,29 Mds EUR) en 2013. Le pays a également réorienté pendant trois ans ses voies d’acheminement logistique via l’Iran et Oman principalement, et engagé une politique d’autosuffisance dans le domaine alimentaire notamment.
Le Qatar s’est ouvert davantage pour attirer les investissements étrangers avec la création de zones franches sous l’égide de la nouvelle « Qatar Free Zone Authority » permettant aux sociétés étrangères de s’installer à 100% capitaux étrangers sans obligation de s’associer en joint-venture avec un partenaire qatarien qui serait majoritaire, et la mise en place d’une véritable agence de promotion des investissements étrangers « IPA Qatar ».
En outre, le Qatar a assoupli sa législation sur la kefala, système de parrainage des salariés par leur employeur appelé « sponsor », avec le support de l’Organisation internationale du travail (OIT), mis fin au permis de sortie du territoire jusqu’alors devant être obtenu auprès du sponsor pour tout déplacement à l’étranger, démantelé le système de Non Objection Certificate, sésame permettant de changer d’employeur, et tracer les contours d’un salaire minimum pour les fonctions les moins qualifiées. Le Qatar a ainsi fait un bond en avant en matière de législation du travail comparé à ses voisins du Golfe.
Ainsi, le Qatar a su transformer cette crise en véritable opportunité pour l’avenir du pays.
Une normalisation des relations qui trouve sa justification dans des raisons économiques
Mais l’impact économique de cette mise au ban du Qatar se compte en plusieurs dizaines de milliards de dollars pour tous les pays. Dubaï, par exemple, a subi des pertes de milliards de dollars en raison de l’interruption des activités des entreprises qatariennes qui étaient basées dans la ville. Sans parler des investissements qatariens perdus dans le secteur immobilier émirien équivalent à des centaines de millions de manque à gagner, tandis que l'Arabie saoudite a pâti de la réduction des exportations alimentaires vers le Qatar.
Cette crise a, en effet, coûté trop cher et devenait insoutenable avec la chute des prix du pétrole et la pandémie Covid-19 qui ne finit plus de paralyser l’économie mondiale. L’enjeu d’un renouveau économique moins dépendant des hydrocarbures partagés par tous les leaders du CCEAG dans le cadre de leur vision nationale 2030, est notamment d’attirer les investissements directs étrangers (IDE). Cette politique d’attractivité est conditionnée par la stabilité régionale, qui passe par une entente pacifiée entre voisins.
Retour en grâce du hub aéroportuaire qatarien ?
La compagnie aérienne nationale Qatar Airways va ainsi de nouveau pouvoir assurer des liaisons avec l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. A noter qu’avant la crise, Qatar Airways desservait dix destinations saoudiennes et assurait 6 vols quotidiens vers Dubai. Hamad International Airport est devenu le 3e aéroport mondial en 2020 selon Skytrax après Singapour et Tokyo.
Le trafic aérien entre le Qatar et ses voisins a repris progressivement depuis le 9 janvier 2021. Les ports d’Abou Dhabi ont officiellement levé la restriction d'accès pour les navires en provenance du Qatar et pour les départs depuis les Émirats arabes unis, faisant suite à une circulaire émise par le ministère de l'Énergie et des Infrastructures des Émirats arabes unis (MOEI) confirmant la réouverture des frontières terrestres, maritimes et aériennes avec le Qatar. Par ailleurs, le transport terrestre de marchandises entre l’Arabie saoudite et le Qatar a repris et les douanes entre Dubai et le Qatar se préparent pour la reprise des échanges directs de marchandises entre les deux pays.
Même si la déclaration d’Al-Ula reste pudique dans ses détails, ces récentes annonces qui devraient s’amplifier, une fois les démarches administratives et juridiques arrêtées, restent de bon augure pour les investisseurs et entrepreneurs qui souhaitent s’implanter dans la région.
En définitive, malgré les coûts qu’a fait peser cette crise sur l’économie du Qatar, la position qatarienne sort renforcée à l’issue de ce sommet. Doha s’est défendu devant les cours juridictionnelles internationales. L’Emir Tamim Al Thani assoit sa présence dans le pays et sur la scène internationale. Toutefois, l’homme fort d’Abou Dhabi, Mohamed Ben Zayed (MBZ), affiche une rivalité idéologique et économique forte qui l’oppose au Qatar, ce qui risque potentiellement de ralentir la normalisation des relations entre ces deux émirats.
Sources : Baker McKenzie, Lifting of restrictions with Qatar - what you need to know, Insight Plus, January 2021
Luc Citrinot, Le Qatar et les pays du Golfe normalisent leurs relations diplomatiques, voyages d’affaires, Janvier 2021
Jihâd Gillon, Golfe : pourquoi l’Arabie saoudite a mis fin au blocus contre le Qatar, jeune Afrique, Janvier 2021
Angélique Mounier-Kuhn, Sous blocus, la presqu’île du Qatar prend le large, Le Monde Diplomatique, Octobre 2018
Mourad El-Bouanani, Quentin De Pimodan, Qatar, une résistance payante face à l’Arabie saoudite, Orient XXI, Décembre 2019